Le pointillisme, d’une technique à un courant artistique
Le pointillisme est un terme qui renvoie à un courant artistique et à une technique de peinture par touche théorisée par Georges Seurat dans les années 1880. Le pointillisme est la technique de prédilection des artistes du courant néo-impressionniste ce qui explique l’interchangeabilité des termes pour le désigner.
Contexte d’émergence du pointillisme
Le mouvement impressionniste
La seconde moitié du XIXème siècle est marquée par le mouvement impressionniste. Ce dernier nait en réaction à l’art académique, les impressionnistes mettent en avant la couleur, la luminosité et le mouvement plutôt que la technicité du dessin. Le mouvement impressionniste regroupe de nombreux artistes aux styles très différents dont Edouard Manet, Edgar Degas, Claude Monet, Camille Pissarro et Berthe Morisot ne sont que des exemples. Du mouvement impressionniste se dégage plusieurs courants dans les années 1880-1890, dont le néo-impressionnisme ou pointillisme qui nous intéresse ici.
Michel-Eugène Chevreul et La loi du contraste simultanée des couleurs
Le néo-impressionnisme ou pointillisme provient de l’intérêt de Georges Seurat pour des travaux scientifiques dédiés à la couleur, notamment ceux d’un chimiste français, Michel-Eugène Chevreul et plus particulièrement de son ouvrage De la loi du contraste simultané des couleurs1. Il y est établi que la perception d’une couleur est dépendante de sa proximité ou non avec d’autres, principe sur lequel plusieurs illusions d’optiques sont créées. Georges Seurat s’intéressera aussi aux travaux d’un physicien américain, Ogden Rood2, qui travaillera sur la composition et décomposition de la lumière.
De ces lectures, Georges Seurat se lancera dans l’expérimentation de nouvelles techniques et théorisera ce qui sera sarcastiquement nommé pointillisme par le critique d’art Arsène Alexandre, alors détracteur du courant.
Les couleurs sont divisées en points distincts de couleur différentes afin d’obtenir des nuances colorées par juxtapositions et non par mélange de pigment préalable à l’application de peinture sur la toile. Ainsi, en se tenant à distance d’une œuvre, les points se troublent et se fondent pour faire apparaître une image aux nombreuses nuances.
De Georges Seurat à Paul Signac
En 1899, huit ans après la mort de Georges Seurat, Paul Signac publiera un essai : D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme3, dans lequel il inscrit le néo-impressionnisme comme héritier d’Eugène Delacroix, peintre de talent reconnu, afin de légitimer le mouvement. La technique pointilliste est rapprochée de celle du flochetage qu’utilisait Delacroix, dans laquelle l’application de peinture se réalise par hachurage de différentes couleurs juxtaposées.
Dans son essai, Paul Signac théorise le pointillisme ou “touche divisée” et nomme la technique divisionnisme ou chromo-luminarisme. Le divisionnisme fera par la suite référence à une technique proche du pointillisme, mais dans laquelle les théories scientifiques ont moins de poids. Les “points” de couleurs pourront se faire plus grand ou moins régulier, laissant transparaître plus de mouvement que les toiles pointillistes du début du courant néo-impressionniste. Il apparaît aussi une théorie des lignes en plus des couleurs, afin de véhiculer au mieux les émotions. Des couleurs chaudes créant une ligne montante (de gauche à droite) véhiculent des sentiments positifs, tandis que des couleurs froides en ligne descendantes évoquent des sentiments plus tristes.
Vie du néo-impressionnisme
La dernière exposition des impressionnistes
L’entrée du style pointilliste sur la scène artistique se produit à Paris en 1886, lors de la huitième et dernière exposition des impressionnistes à laquelle Georges Seurat présentera Un dimanche après-midi à la Grande Jatte. Cette toile monumentale, de trois mètres de large sur deux mètres de haut, est la première présentation d’œuvre réalisée avec la technique pointilliste, qui ici, est poussée jusqu’à l’encadrement du tableau.
Le critique et collectionneur d’art Félix Fénéon utilisera le terme “néo-impressionnisme” pour décrire ce nouveau style pictural. Ce mouvement séduira notamment Camille Pissarro, encore aujourd’hui perçu comme l’un des piliers de l’impressionnisme.
Paul Signac et la technique pointilliste
Georges Seurat est le chef de file incontesté du pointillisme, cependant, ce dernier décède en 1891 à l’âge de 32 ans, peu de temps après le début de reconnaissance du mouvement, c’est donc Paul Signac qui va prendre la place de meneur du néo-impressionnisme.
Contrairement à Georges Seurat, dont on a parfois reproché le sérieux de l’approche et la méthodologie quasi scientifique nécessaire à la réalisation de ses toiles. Les tableaux de Paul Signac sont souvent perçus comme plus spontanés, ses œuvres sont plus lumineuses, et les couleurs y sont plus vives.
Grâce aux lieux d’expositions fournit par la Société des Artistes Indépendants4 et de l’influence de différents artistes et critiques d’art comme Félix Fénéon, le mouvement se diffuse en Europe occidentale notamment en Belgique avec l’œuvre de Théo van Rysselberghe.
Evolution du mouvement
Sous l’influence de Paul Signac, le mouvement évolue. On s’éloigne de la rigueur scientifique de Seurat pour se focaliser sur la couleur et les émotions véhiculées par les toiles. Les touches de peinture peuvent s’espacer, comme le montre le travail d’Hyppolyte Petitjean et Albert Dubois-Pillet, ou s’agrandir comme dans les toiles de Robert Delaunay et Jean Metzinger. Ces évolutions du point traduisent de plus en plus une sensation de mouvement comme dans les toiles de Maximilien Luce. Le point commun à ces œuvres demeure dans l’attention accordée à la luminosité des tableaux et leurs couleurs pour mieux transmettre et représenter des émotions.
Avec le début du XXème siècle, le mouvement s’estompe pour se fondre dans d’autres. Le néo-impressionnisme a fortement impacté deux autres mouvements qui l’ont suivi, le fauvisme et le cubisme. L’influence des pointillistes sur ces mouvements passe par l’attention portée aux couleurs et la distance prise avec le dessin académique, mais s’effectue aussi de manière plus concrète. En effet, Paul Signac, utilisera son temps de présidence à la Société des Artistes Indépendants pour exposer et faire la promotion d’œuvres controversées, aujourd’hui considérées comme des monuments du fauvisme et du cubisme.
Réception et Postérité
Une réception mitigée
Comme souvent, la reconnaissance d’un mouvement s’opère à rebours de celui-ci et le néo-impressionnisme ne fait pas exception. Les premières œuvres pointillistes essuient plusieurs critiques. On reproche souvent la place prise par la technique dans la réalisation des œuvres, un travail si minutieux, en plus de la rupture totale des usages en peinture, ne peut qu’entacher sa spontanéité. Les critiques mettent souvent en avant les formes et détails rendus flous par la technique qu’ils assimilent péjorativement à des “pointillés”.
Beaucoup d’impressionnistes n’apprécient pas l’approche scientifique de l’art de Georges Seurat. Edgar Degas l’avait surnommé “Le notaire”, en référence à cette approche créative qu’il jugeait froide et dépourvue d’âme. Un des détracteurs les plus connus du mouvement est probablement Emile Zola, puisque ce dernier a immortalisé cette critique dans son roman L’Œuvre5, fiction dans laquelle le lecteur suit un peintre pointilliste dont la pratique de l’art est dépeinte comme froide et mécanique, bien éloignée de la représentation habituelle de la créativité artistique.
Une influence réelle
Cependant, malgré les critiques, l’influence du néo-impressionnisme est indéniable, que ce soit dans les courants artistiques qui l’ont suivi ou à travers l’œuvres d’artistes qui ont marqués l’histoire.
Si le fauvisme et le cubisme peuvent être directement lié au néo-impressionnisme, de nombreux artistes et courants revendiquent une influence pointilliste. Des futuristes, des expressionnistes et certains artistes abstraits se disent très influencés par le mouvement et sa technique emblématique. Vassily Kandinsky et Paul Klee mettent en avant leur héritage pointilliste et Pablo Picasso s’essaiera aux procédés néo-impressionnistes.
Un exemple assez parlant est celui de Vincent van Gogh. Van Gogh va rencontrer plusieurs artistes néo-impressionnistes dont Georges Seurat, il se lie d’amitié avec Paul Signac et étudie la technique divisionniste au côté de Camille Pissarro. On ressent ces influences dans plusieurs de ses toiles dont l’un des exemples les plus connus est probablement La nuit étoilée, mais cette recherche du mouvement et ce travail de la couleur par touche se retrouve dans beaucoup de ses travaux, en particulier dans le traitement des fonds et paysages.
Une postérité forte
Si les néo-impressionnistes ne faisaient pas l’unanimité parmi leur contemporain, l’histoire de l’art a depuis consacré le mouvement. Georges Seurat est souvent présenté comme l’une des quatre grandes figures du post-impressionnisme, au côté de Paul Cézanne, Paul Gauguin et Vincent Van Gogh.
Des œuvres de Georges Seurat, Paul Signac et d’autres artistes appartenant au courant néo-impressionnistes sont présentes dans les collections permanentes de nombreux musées à travers le monde. Au musée d’Orsay à Paris, mais aussi au MET et au MoMA à New-York, à la National Gallery de Londres mais aussi en Ecosse, au Pays-Bas et au Japon. Ainsi, la plupart des visiteurs de grands musées d’art pourront y admirer des œuvres pointillistes.
De plus, des expositions sont régulièrement organisées autour du courant ou de ses artistes. Le Musée d’Orsay, qui possède probablement la plus grande collection d’œuvre pointilliste en France, organise très régulièrement des rétrospectives liées au mouvement. En 2005 sur l’évolution du néo-impressionnisme de “Seurat à Paul Klee”, en 2022 sur Paul Signac et sa collection d’art, et plus récemment une exposition autour de Van Gogh, dans laquelle les liens entre le peintre et les néo-impressionnistes étaient mis en avant. Le Musée d’Orsay n’est pas le seul à mettre le pointillisme en avant, le néo-impressionnisme occupe donc une grande place dans le paysage artistique contemporain.
C’est ainsi qu’une technique artistique apparaît être bien plus qu’une simple méthode souvent vu comme anecdotique. Le pointillisme a beaucoup marqué son époque et inspiré de nombreux artistes novateurs qui ont marqué l’histoire de l’art et dont l’on retrouve des œuvres dans les lieux dédiés à l’art du monde entier.
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Celui-ci, sur Photoshop pour transformer une photo en œuvre néo-impressionniste, et pour les fans de digital painting, ce tuto qui permet de créer son propre pinceau à effet pointilliste !
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Illustration de couverture, Antibes, le soir, de Paul Signac, 1914
- Michel-Eugène Chevreul, De la loi du contraste simultané des couleurs, 1939, édité par Atlas. ↩︎
- Ogden Rood, Modern Chromatics, 1879, traduction française en 1881, Théorie scientifique des couleurs et leurs applications à l’art et à l’industrie ↩︎
- Paul Signac, D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme, 1899 ↩︎
- Société des Artistes indépendants : Association créée en 1884 par plusieurs artistes dont Georges Seurat et Paul Signac, avec la volonté de donner un lieu d’exposition aux œuvres rejetées par les événements officielles. Paul Signac en sera président de 1908 à 1934. ↩︎
- Emile Zola, L’Œuvre, 1886, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1075052c ↩︎
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