Edvard Munch, un artiste célèbre mais méconnu
Pour cette période d’Halloween, l’équipe d’Okprod a eu envie de vous présenter un artiste très célèbre mais méconnu.
En effet Edvard Munch est mondialement connu pour ses toiles intitulées Le Cri, mais au-delà du motif toujours présent dans notre paysage culturel, la vie et l’œuvre pléthorique du peintre sont assez méconnues. Il est même possible que vous fassiez une erreur en prononçant son nom comme votre dévouée rédactrice qui s’est aperçue en faisant des recherches pour cet article que l’on ne parlait pas de “Meunnch” ou de “Munnch” (avec le même “u” que dans le mot “bus”) mais de “Mounk” (avec le “n” prononcé dans le fond de la gorge).
En effet, pendant longtemps en France, les historiens de l’art disaient “Meunnch”, mais depuis quelques années, on préfère valoriser une prononciation qui se rapproche le plus possible du nom des artistes dans leurs langues maternelles, donc dans le cas qui nous intéresse “Mounk” (pour écouter la prononciation du nom Edvard Munch cliquez sur ce lien)
Edvard Munch
Une vie marquée très tôt par la maladie
Munch nait en 1863 dans la banlieue de la capitale norvégienne Christiania1. Second fils d’un médecin militaire, Munch et ses quatre frères et sœurs seront élevés par leur tante après le décès de leur mère de la tuberculose en 1868, Munch n’a que 5 ans.
La famille connaitra beaucoup d’autres drames qui marqueront profondément l’artiste et sa production. Au début de son adolescence, sa sœur Johanne Sophie sera emportée par la même maladie que leur mère 9 ans plus tôt. En 1895, son frère décède d’une pneumonie et sa sœur Laura Catherine est diagnostiquée “mélancolique”, elle est internée dans un asile où elle restera jusqu’à la fin de sa vie.
“Dans la maison familiale nichaient la maladie et la mort. Je n’ai jamais surmonté ce malheur qui a été déterminant pour mon art.” -Edvard Munch
Contre l’avis de son père, Munch poursuit son objectif de devenir peintre et quitte une formation d’ingénieur pour entrer à l’Ecole royale de Dessin. Il poursuit ses études dans différentes institutions et Norvège et à l’étranger, et rencontre des artistes réputés (Paul Gauguin, Vincent van Gogh, Henri de Toulouse-Lautrec…).
Le style d’Edvard Munch
Le style d’Edvard Munch est connu pour son ton lugubre. La vie de l’artiste influe beaucoup sur sa production artistique, et l’on retrouve de nombreuses thématiques liées aux ressentis et aux questionnements de Munch. La mortalité, la maladie, la douleur, la peur sont autant de sujets récurrents dans ses toiles.
Si l’on retrouve souvent les mêmes thèmes dans les créations de Munch, on peut y observer une grande variété, tant dans le style que dans le choix des médias. En effet, si Munch est surtout connu en tant que peintre, il s’est essayé à beaucoup de techniques et moyens d’expressions différents.
Parmi l’œuvre monumentale laissée par l’artiste on trouve par exemple plusieurs milliers de pages manuscrites, de lettres, d’extraits de journaux alliant souvent texte et dessin. Ces écrits nous sont d’ailleurs très utiles pour mieux comprendre l’artiste.
Si la peinture, notamment l’huile, reste son média de prédilection on trouve des créations de Munch à l’aquarelle, au pastel, au tempera2 sur carton, mais aussi de nombreuses litho- et xylographies3, des sculptures, des photographies et quelques courts-métrages. L’artiste est en constante recherche d’innovation, n’hésitant pas à griffer ou endommager volontairement ses toiles pour mieux véhiculer le message qu’il veut transmettre à travers ses créations.
“L’appareil photo ne peut pas concurrencer le pinceau et la palette, tant que l’on ne peut pas l’utiliser au Paradis ou en Enfer” – Edvard Munch
Cette pluralité de techniques se retrouve aussi dans l’évolution stylistique de Munch. Aujourd’hui l’artiste est souvent catégorisé comme appartenant au courant symboliste, ou à celui de l’impressionnisme nordique, et beaucoup d’historiens de l’art le présentent comme l’un des artistes ayant amorcé l’expressionnisme (cliquez pour lire notre article sur l’expressionnisme) puisqu’il commence très tôt à s’intéresser aux émotions véhiculées par ses toiles.
Mais réduire Munch à un courant semble réducteur et c’est par la découverte de plusieurs mouvances artistiques rythmées par les voyages et les rencontres de Munch que ce dernier développe un style qui lui est propre.
A Paris il s’essaiera notamment aux créations lyriques inspirées du néoromantisme et aux mouvements postimpressionnistes (cliquez pour lire notre article sur le pointillisme). Ces derniers sont caractérisés par la volonté de s’affranchir des normes de l’art académique.
La découverte de l’impressionnisme (cliquez pour lire notre article sur l’impressionnisme), et des mouvements qui en découlent, exercent une grande influence sur Edvard Munch. Son style se libère et l’artiste se permet d’expérimenter, ce qui participera au succès de ses œuvres.
Reconnaissance de son vivant
En 1892, Edvard Munch expose à Berlin où il présente ses toiles réalisées à Paris. Il sera alors perçu comme un artiste précurseur d’une nouvelle mouvance artistique moderne, venu rompre avec les styles établis.
La présentation de son travail au public ne se fait pas sans heurt et plusieurs œuvres choquent beaucoup. Une seconde exposition aura lieu la même année dans la capitale allemande mais cette dernière sera fermée à la suite de protestations considérant les toiles de Munch comme provocatrices et anarchistes. Le scandale n’empêche pas l’artiste de gagner en reconnaissance ou d’être exposé dans plusieurs grandes villes européennes.
Si la réputation d’Edvard Munch n’est plus à faire en Europe occidentale à la fin du XIXème, il faut attendre le début du XXème pour que cette dernière s’étende aux pays Scandinaves. En 1909 une exposition lui est dédiée à Christiania et il est choisi cette même année pour réaliser des fresques pour habiller l’intérieur de l’université de la capitale norvégienne.
En Europe, les années 1930 et 1940 sont marquées par la montée du nazisme, le peintre antifasciste sera très vite catégorisé “artiste dégénéré” et plus de 80 de ses tableaux sont retirés des musées allemands.
Pour protéger ses œuvres, Munch fait don de la majorité de sa collection personnelle à la mairie d’Oslo, lors de l’invasion de la Norvège en 1940. Ce don représente plus de mille tableaux, des milliers de dessins et d’aquarelles, quelques sculptures, des photographies, courts-métrages et toutes ses propriétés et résidences norvégiennes, la plupart près de fjords4 que l’artiste avait à cœur de protéger. Munch ne connaitra pas la fin de la guerre puisqu’il décède en janvier 1944
La Frise de la vie
Dans les années 1890, Munch décide d’accentuer le lien et la cohérence entre ses toiles aux thèmes récurrents et les articule autour d’un projet qu’il intitule La Frise de la Vie. Dans cette frise on trouve beaucoup de toiles autour de la mort, la maladie, l’anxiété, mais aussi l’amour.
« La frise de la vie a été pensée comme une série cohérente de tableaux,
qui doivent donner un aperçu de la vie. J’ai ressenti cette fresque comme un poème de vie, d’amour, de mort… » – Edvard Munch, 1919
On situe souvent le début de le Frise de la vie avec la création d’une série de six toiles intitulées Etude en une série, L’Amour présentées lors d’une exposition à Berlin en 1893 parmi lesquelles on trouve L’Amour et la Douleur régulièrement nommée Vampire.
L’Amour et la Douleur a fait l’objet de plusieurs controverses quant à son interprétation. Pour certains elles représentent la séduction, pour d’autres c’est une scène de réconfort. Le plus souvent, cette toile est vue comme la représentation graphique de “l’amour à mort” très présent au théâtre et en littérature5. L’amour à mort c’est la représentation d’un amour si dévorant qu’il devient une force qui consomme les amants jusqu’à entrainer leur mort. Cette théorie est renforcée par la représentation de cette étreinte presque vampirique qui donnera son titre alternatif à l’œuvre, Vampire.
C’est lors d’une exposition à Berlin en 1902 que Munch pense à la scénographie de sa frise. Ses toiles sont agencées de manière à accentuer leur propos, en particulier le cycle incessant de la vie et de la mort.
La Frise de la Vie qui reste inachevée, peut être prise pour résumer la majorité de la carrière de l’artiste qui continuera à la travailler et à l’augmenter jusqu’à la fin de sa carrière. La recherche appliquée aux thèmes de la frise est si poussée que souvent l’artiste réutilise des motifs et décline ses réalisations parfois en changeant le média utilisé, parfois en revisitant le thème tout en conservant un élément des toiles précédentes (un personnage, un objet, une chevelure) ce qui accentue la cohérence des œuvres en elles.
Le Cri
Parmi les toiles de la frise on trouve la plus emblématique de Munch, Le Cri. L’artiste en a réalisé cinq versions entre 1893 et 1917 (à l’huile, au pastel, à la tempera sur carton, au crayon et en lithographie).
L’interprétation de cette toile a souvent porté à débat. On a longtemps pensé que le personnage au visage émacié était à l’origine du fameux Cri éponyme, mais une étude de l’œuvre et des journaux de Munch ont permis de déterminer que l’homme au premier plan se bouche les oreilles, il n’est pas à l’origine du cri mais celui qui l’entend.
“Je me promenais sur un sentier avec deux amis –le soleil se couchait- tout d’un coup le ciel devint rouge sang. Je m’arrêtai, fatigué et m’appuyai sur une clôture -il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville – mes amis continuèrent et j’y restai, tremblant d’anxiété- je sentais un cri infini qui passait à travers l’univers” -Edvard Munch, 22 janvier 1982
Beaucoup de mystères entourent cette série de toile. Des théories existent sur le personnage principal qui pourrait être inspiré d’une momie exposée au musée d’ethnographie du Trocadéro à partir de 1882, mais l’un des plus gros sujets de débat n’est autre que le fameux ciel rouge sang. Des chercheurs l’ont associé en 2004 à l’éruption volcanique du Krakatoa en Indonésie en aout 1883 dont les nuages avaient été observés jusqu’en Norvège. En 2024, une chercheuse de l’université d’Oslo, avancent que le ciel du Cri représente des “nuages nacrés”, phénomène que l’on observe pour la première fois en 1885, témoins de la pollution engendrée par l’activité humaine.
Mais c’est il y a quelques années que l’un des plus gros mystères du Cri est révélé. En 1904, un critique d’art observe avec attention le premier Cri de 1893, en haut à gauche dissimulé dans le ciel il distingue une phrase :
“Ne peut avoir été peint que par un fou !”
S’il apparait que les quelques mots ont été ajoutés après que la peinture eut été finie impossible avant février 2021 d’avoir la certitude de l’identité de leur auteur. Grâce à l’étude infra-rouge de l’œuvre, le musée national de Norvège a pu comparer les quelques mots à l’écriture des journaux de Munch et ainsi révéler que l’artiste est bien à l’origine de l’inscription. On suppose que Munch rajouta ces quelques mots à la suite des critiques essuyées lors de la découverte du Cri par le public.
Si Le Cri est sans conteste l’œuvre la plus connue de Munch dont une version a été achetée aux enchères pour 119,2 millions de dollars en 2012, on connait moins les autres œuvres faisant appel au décor si particulier du Cri.
On retrouve le pont surplombant le fjord sous ce ciel si atypique dans deux autres toiles de Munch, Désespoir et Anxiété.
Le Cri est la plus connue parmi ces toiles mais Désespoir, humeur malade au coucher de soleil rappelle la citation du journal de Munch relatant sa réaction quand il a entendu le fameux “cri infini”, “je m’arrêtai, fatigué et m’appuyai sur une clôture”.
La reprise du motif en 1894 dans sa version intitulée Désespoir, montre une volonté de renforcer le lien entre Désespoir et Le Cri réalisé un an plus tôt. Avec Anxiété, les trois toiles au décor similaire représentent la vie de l’homme moderne, sombre et angoissante.
Une œuvre ancrée dans la vie de l’artiste
Des thèmes propres à Munch
A travers ses créations, Munch aborde de nombreux thèmes liés aux questionnements existentiels et émotions très sombres auxquels nous sommes tous un jour confrontés, peur de la mort, jalousie, angoisse, solitude… Les émotions véhiculées par les toiles de Munch dérangent, elles déclenchent souvent le malaise chez l’observateur.
Si ses toiles ont un tel impact, c’est peut-être parce qu’elles nous transmettent l’intériorité de l’artiste. D’une santé faible depuis l’enfance, ayant vécu de nombreux décès et drames, Munch use de ses émotions mais aussi d’éléments biographiques pour la création de ses tableaux. L’un des plus connus est probablement celui de L’Enfant Malade dans lequel Munch raconte le décès de sa sœur Johanne Sophie, la première version est achevée en 1885.
Usage de l’autoportrait
Tout au long de sa carrière Edvard Munch réalise des autoportraits. Loin de ne représenter l’artiste que sur un plan physique, les autoportraits de Munch sont souvent porteurs d’indices quant à son intériorité.
Il raconte l’absence et la solitude après le décès de son père dans Nuit à Saint-Cloud, sa peur de la mort dans Autoportrait. Entre l’horloge et le lit, son alcoolisme dans La Vigne Vierge Rouge, ou son mal-être grandissant qui le poussera à se rendre pendant 8 mois dans une clinique pour y subir une électrothérapie dans Autoportrait en enfer.
Figure de la femme
La femme est une figure récurrente dans l’œuvre de Munch, elle est souvent ambivalente, sensuelle et dangereuse. Sa toile La Madone en est un excellent exemple. Loin d’être une représentation d’icône religieuse, La Madone donne à observer l’incarnation de la femme à la beauté idéale portée par l’amie de Munch, Dagny Juel-Przybyszewska.
La figure féminine est très présente dans La Frise de la vie, les œuvres de ce cycle illustrant la vie et la mort présente aussi l’amour et toutes ses étapes. Comme le reste du travail de Munch ses toiles sont des témoignages autobiographiques. Ces œuvres forment un cycle à part entière dans La Frise, Munch y fait référence comme à
“la bataille entre l’homme et la femme que l’on appelle l’amour”.
En effet, le peintre norvégien eut des relations amoureuses que l’on pourrait difficilement décrire autrement que comme compliquées. Parmi ses histoires les plus marquantes il y a Tulla Larsen, avec qui Munch se séparera après un combat qui se solde pour l’artiste d’une blessure par balle à la main gauche.
Les créations traitant de cette “bataille […] que l’on appelle l’amour” témoignent de cette relation ambivalente de Munch au couple et aux femmes, entre envie et crainte.
On trouve beaucoup de toiles représentant les étapes d’une relation amoureuse de la naissance de la sexualité à l’amour et la séparation, en passant par la jalousie ou la solitude.
Aujourd’hui, Edvard Munch est un artiste mondialement connu, un musée lui est dédié à Oslo et de nombreuses expositions et rétrospectives sont régulièrement organisées (à Paris trois expositions lui ont été consacrées depuis 2010). En 2014, une bande dessinée6 autour de sa vie et de son œuvre sort en librairie et est traduite dans de nombreuses langues. Pourtant beaucoup ne connaissent que peu Munch excepté Le Cri.
Mais il faut bien reconnaitre que l’œuvre est inoubliable, tant par ses qualités graphiques que par les histoires qui l’entourent. Même les événements modernes autour du cri sont rocambolesques.
Deux exemplaires ont été volés ! A deux reprises ! En 2004 (la toile sera retrouvée 3 ans plus tard), et en 1994 au Musée Munch, où une rançon de 1,2 million de dollars a été réclamée au gouvernement norvégien qui grâce à la coordination des polices norvégiennes et britanniques arrivera à récupérer l’œuvre la même année.
Mais le lieu de rayonnement le plus marquée du Cri n’est autre que la culture populaire. En effet, nos livres, mangas, série, jeux vidéo (même mobile) glissent souvent des références à la toile de Munch. La personnification de l’angoisse est plus présente dans notre quotidien qu’on pourrait le penser, jusque dans nos émoticônes avec le “:scream:” . Parmi la multitude d’exemples on pourra citer quelques épisodes des Simpson, le personnage emblématique de la franchise Scream, aka Ghostface, ou l’affiche du film Maman j’ai raté l’avion.
Parmi ces différents hommages et références on trouve beaucoup de parodies, comme celle réalisée par le Musée d’Art Métropolitain de Tokyo à l’occasion d’une exposition dédiée à Munch en 2018.
Internet regorge de parodies du Cri toutes plus hilarantes les unes que les autres. Si vous aussi vous avez envie de vous essayer à la parodie de Munch, on vous conseille ces tutos sur la déformation de marionnette sur Photoshop ou Illustrator.
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Illustration de couverture, zoom sur une version de La Madone exposée au Hamburg Kunsthalle, Munch, 1894
- Christiania était le nom de la capitale norvégienne qui fut rebaptisée Oslo en 1925. ↩︎
- La tempera est une technique de peinture utilisée à l’Egypte antique, à l’époque byzantine et au Moyen-âge. La tempera est une technique de fabrication de peinture reposant sur le mélange de pigment en émulsion avec de l’eau (dans ce cas on parle de détrempe) d’œuf, de graisse, de colle, etc. Cette technique disparait peu à peu avec le développement de la peinture à l’huile. ↩︎
- La lithographie et la xylographie sont des techniques d’impression. La lithographie repose sur un tracé à l’encre ou au crayon sur une pierre calcaire qui permet l’impression en série d’un motif ou texte grâce aux principes de répulsion entre l’eau et le gras. La xylographie utilise une plaque de bois gravée plutôt qu’une pierre. Lorsque l’on utilise une pierre gravée comme technique d’impression, on parle alors de lithogravure. ↩︎
- Un fjord est un paysage formé lorsqu’un glacier se retire d’une vallée située sous le niveau de la mer laissant un bras de mer entouré de montagnes. ↩︎
- Roméo et Juliette est l’un des exemples les plus connus d’œuvres traitant du thème de L’amour à mort. ↩︎
- Munch, Steffen Kverneland, édité en France par nouveau monde en 2014 ↩︎
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