L’expressionnisme, un courant ancré dans le XXème siècle 

Au début du XXe siècle en Europe, beaucoup d’artistes questionnent l’art académique établi et de nombreux courants émergent afin de trouver d’autres moyens d’expressions. Les impressionnistes utilisent la lumière, quand les fauvistes valorisent la couleur sur la forme.

Cette période est le lieu de nombreuses innovations artistiques où sont expérimentées de nouvelles techniques et esthétiques. C’est dans ce contexte qu’émerge l’expressionnisme.

I. Un courant du début du XXème siècle 

A. L’avant-garde artistique 

L’expressionnisme appartient à un groupe de courants artistiques tournés vers l’innovation et le rejet de l’art académique. Ces mouvements seront plus tard rapprochés et considérés comme appartenant à l’avant-garde.

L’avant-garde artistique regroupe de nombreux courants européens du début du XXème. Les principaux sont primitivisme, fauvisme, expressionnisme, cubisme, futurisme, suprématisme, constructivisme et surréalisme. Outre le suffixe en “-isme”, ces courants artistiques ont tous en commun une remise en question de l’art traditionnel et une recherche de nouveaux biais d’expression, tant techniques qu’esthétiques.

Par exemple, le fauvisme privilégie la couleur aux formes, quand le cubisme, le suprématisme et le constructivisme vont au contraire mettre les formes en avant. Le surréalisme met l’inconscient aux premières loges quand les expressionnistes tentent de transmettre des sentiments et des émotions.

Le Renard bleu-noir, Franz Marc, 1911, Fauvisme
Hallesches Tor, 1913, Ernst Ludwig Kirchner, die Brücke, Expressionnisme,
Violin and Checkerboard, 1913, Juan Gris, Cubisme
Modèle féminin, 1913, Vladimir Tatline, Constructivisme
Cercle noir, 1924, Kazimir Malevitch, Suprématisme
Composition surréaliste, 1929, Ismael Nery, Surréalisme

B. L’expressionnisme, symptôme d’un futur effrayant 

C’est en Allemagne que l’expressionnisme prend racine. Ce courant touche de nombreux domaines, littérature, musique, danse, architecture, théâtre et cinéma. Mais c’est avec la poésie et la peinture qu’il se développe.

L’expressionnisme semble prendre racine dans un rejet de la société dont le futur s’annonce sombre. L’industrialisation du pays et la montée des tensions en Europe depuis la fin du XIXe annonçant la Première Guerre mondiale, sont des thèmes très présents dans les œuvres expressionnistes.

Cette aversion de la société se traduit par un rejet des normes académiques. On s’éloigne de la représentation du réel pour embrasser la subjectivité de l’artiste afin de communiquer ses émotions et son ressenti. Les toiles portent souvent l’empreinte d’un fort pessimisme où la réalité est déformée pour mieux exprimer l’intériorité de l’artiste.

Une des toiles souvent présentées comme la première œuvre expressionniste est le célèbre Cri d’Edvard Munch dans lequel on retrouve sans difficulté un sentiment d’angoisse voire d’horreur très marqué.

Le Cri, 1893, Edvard Munch

C. Style expressionniste 

Si Edvard Munch est souvent considéré comme l’un des premiers expressionnistes, l’œuvre de Vincent van Gogh exerce une grande influence sur le courant. Les formes s’éloignent de la réalité, se tordent et se déforment au gré des sentiments de l’artiste.

Les Oliviers, 1889, Vincent van Gogh

L’expressionnisme tranche avec le naturalisme et sa représentation fidèle du réel mais aussi avec l’impressionnisme qui est très populaire au début du XXe. Les toiles expressionnistes présentent souvent des couleurs très saturées avec de forts contrastes, les formes, notamment les corps, sont déformées, torturées afin de mieux véhiculer les sentiments de l’artiste.

Le corps est, en effet, un trope récurrent des toiles expressionnistes, notamment le corps féminin. Ces corps sont souvent présentés dans des poses peu conventionnelles, et sont déformés, parfois jusqu’à l’extrême.

Autoportrait debout, 1910, Egon Schiele
Trois baigneuses, 1913, Ernst Ludwig Kirchner
Portrait d’un homme, 1918, Erich Heckel

Parmi les thèmes récurrents chez les expressionnistes, outre le corps, on trouve plusieurs peintures de genre présentant des scènes de la vie quotidienne, et des paysages.

Théâtre de Vaudeville, 1909, Ernst
Ludwig Kirchner
Place Nollendorf, 1912, Ernst
Ludwig Kirchner
Place Nollendorf, 1912, Ernst Ludwig Kirchner

Le courant expressionniste ne repose pas sur une école, à l’instar de plusieurs courants de cette période, comme le néo-impressionnisme ou le dada, l’expressionnisme repose sur la création de groupes d’artistes partageant une vision et des aspirations communes.

II. Un courant fait de groupuscules 

A. Die Brücke – Le Pont 

La création du premier de ces groupes correspond à la date souvent donnée au début du courant expressionniste. Die Brücke, est créé en 1905 à Dresde par quatre jeunes artistes alors étudiants, Ernst Ludwig Kirchner, Erich Heckel, Fritz Bleyl et Karl Schmidt-Rottluff.

Ce qui regroupe ces artistes, c’est avant tout une volonté d’outrepasser l’art traditionnel en donnant libre court à l’impulsivité et à la subjectivité de l’artiste. En 1906, Ernst Ludwig Kirchner, figure la plus emblématique de Die Brücke, publie un manifeste d’une page, dans lequel il explicite une volonté d’affranchissement de la jeunesse et de recherche de la liberté notamment dans la création. Il appelle d’autres artistes à rejoindre le groupe, ce que feront Emil Nolde et Max Pechstein cette même année.

Manifeste du mouvement expressionniste Die Brücke, 1906, xylogravure, Ernst Ludwig Kirchner

Rapidement, un style propre au groupe se développe. Les productions de Die Brücke, outre les toiles, comptent de nombreuses gravures. Les œuvres présentent des couleurs vives, brutes, avec des contrastes marqués, des formes torturées. On retrouve énormément de paysages, et le nu comme la nature sont des thèmes récurrents, symbole d’un retour à un idéal. 

Affiche pour la première
exposition de Die Brücke,
Lithographie de Fritz Bleyl, 1906
Affiche d’exposition pour Die Brücke, 1910,
xylogravure, Ernst Ludwig Kirchner
Bateaux à la plage, Karl Schmidt-Rottluff
Les baigneuses, 1910, Ernst Ludwig Kirchner
Paysage avec baigneuses,
1915, Otto Mueller
Intérieur, 1913, Erick Heckel

En 1911, le groupe part de Dresde pour Berlin. La présence de la nature comme idéal s’effacent peu à peu des œuvres pour laisser place à la ville. Les membres s’éloignent les uns des autres jusqu’en 1913 où l’annonce de la dissolution de Die Brücke est faite lors de la dernière exposition du groupe. 

Un groupe d’artiste, 1926, Ernst Ludwig Kirchner, représentation de membres de Die Brücke, Otto Mueller, Kirchner, Heckel, Schmidt-Rottluff

B. Der blaue Reiter – Le cavalier bleu 

En 1912 est créé à Munich, sous l’impulsion de Vassily Kandinsky et Franz Marc, le groupe Der blaue Reiter. Le nom du groupe fait référence à une publication1 de la même année des deux artistes, dans laquelle est prônée la liberté d’expérimentation artistique.  

Der blaue Reiter, Vassily Kandinsky, Franz Marc 1912

Si les deux groupes d’artistes accordent une place centrale à la recherche de liberté artistique et au rejet des normes établies, la démarche du groupe Der blaue Reiter part d’une approche plus spirituelle. Les artistes du groupe s’intéressent notamment à la psychanalyse et aux théories, alors récentes, de l’inconscient.

Pour atteindre cette intériorité, Kandinsky se dirige vers l’abstrait, mais ce n’est pas forcément le cas des autres membres du groupe. En effet, il n’y a pas un style propre aux membres du blaue Reiter, mais plutôt une recherche commune d’expression de l’inconscient de chaque artiste. 

Lyrique, 1911, Vassily Kandinsky
Avec l’arc noir, 1912, Vassily Kandinsky
Le rêve, 1912, Franz Marc
Tyrol, 1914, Franz Marc
Vue Nocturne d’un port, 1917,
Paul Klee
Le mythe de la fleur,
1918, Paul Klee

Si Vassily Kandinsky, Franz Marc et Paul Klee font partie des membres les plus connus de ce groupe, Der blaue Reiter regroupe un large nombre d’artistes dont plusieurs femmes. Gabriele Münter et Marianne von Werefkin font d’ailleurs partie, au côté des représentants les plus célèbres du groupe, des membres fondateurs du blaue Reiter. Parmi eux, on compte aussi les artistes August Macke, Alexej von Jawlensky, Lyonel Feininger et Albert Bloch. 

Paysage au bord de mer, 1919, Gabriele Münter
Méditation, 1917, Gabriele Münter
Fille allongée, 1917, Alexej von Jawlensky
L’Avènement du printemps, 1914, David Bourliouk
Méduse, 1923, Alexej von
Jawlensky
Etude d’une vitrine lumineuse,
1913, August Macke

La Première Guerre mondiale met fin aux activités du groupe. La guerre oblige Vassily Kandinsky et Alexej von Jawlensky à retourner en Russie, et les artistes Franz Marc et August Macke ne survivront pas à leurs mobilisations. Der blaue Reiter sera officiellement dissout en 1919. 

C. L’après-guerre 

La Première Guerre mondiale rythme plusieurs changements chez les expressionnistes. Son ombre exerce une forte influence sur les productions expressionnistes, et elle joue un rôle dans la dissolution des deux groupes fondateurs du courant.

L’après-guerre va aussi jouer un rôle dans l’évolution de l’expressionnisme. Les artistes sont profondément marqués par le conflit et cela se traduit dans leurs œuvres. La problématique ne se situe plus dans la recherche de l’inconscient ou de la liberté. Si le rejet de la société est toujours présent, il est désormais question de dénoncer la réalité de l’après-guerre et de ses conséquences. Cette réalité devient le thème principal de ce nouveau courant issu de l’expressionnisme qui sera appelé “la nouvelle objectivité”.

La rue Prager, 1920, Otto Dix
La rue Prager, 1920, Otto Dix

Ce courant réunit des artistes expressionnistes, mais aussi des membres emblématiques du mouvement dada, comme George Grosz. Ce dernier, avec Otto Dix et Max Beckmann, fait partie des figures de proue de la nouvelle objectivité.

La Nuit, 1919, Max Beckmann
Automates républicains, 1920, George Grosz

III. Réception et postérité de l’expressionnisme 

A. Un courant subversif 

Comme beaucoup de courants artistiques rompant avec la tradition, l’expressionnisme ne séduit pas tout de suite le public. Les membres du groupe Die Brücke se heurtent d’abord à de nombreuses critiques, leurs œuvres sont notamment jugés grossières voire simplistes.

Cependant, l’expressionnisme entre en résonnance avec le climat social et le mouvement prend de l’ampleur. Il s’étend vite à de nombreux domaines artistiques et la plupart des artistes du XXème siècle s’essaieront au courant, et ce, à l’échelle internationale.

Potato Pickers, 1924, Ester Almqvist, artiste suédoise
Island of Happiness, 1924, Yasuo Kuniyoshi, artiste japonais
Photo de l’artiste israélien Alexandre
Frenel, par Benno Rothenberg, 1952
Timbre de 1997 présentant un autoportrait
de l’artiste indonésien Affandi

L’expressionnisme connait un nouveau souffle pendant l’entre-deux-guerres, notamment avec la nouvelle objectivité. Mais les membres du courant expressionniste et ceux qui s’y rattachent seront confrontés à la montée du nazisme et seront catégorisés, les uns après les autres, comme artistes dégénérés.

B. Art dégénéré 

La montée du régime fasciste s’oppose à l’art moderne. Tous les courants de l’avant-garde sont visés. Une période de censure s’installe dès 1930, où les œuvres commencent à être retirées des musées.

C’est en 1937 que sont créées les dénominations art et artiste “dégénéré”. Les œuvres ainsi classées sont confisquées, détruites, utilisées à but de propagande ou vendues à l’étranger. Les artistes incriminés, s’ils n’avaient pas fui, n’ont plus le droit de produire, d’exposer ou de vendre leurs œuvres.

La plupart des artistes expressionnistes ont été condamnés au statut d’artiste dégénéré, Otto Dix, Franz Marc et Karl Schmidt-Rottluff, font partis des premiers artistes à voir leurs œuvres retirées des musées allemands.

Aujourd’hui, des historiens ont déterminée que sur les 21 000 œuvres confisquées, 12 500 ont été détruites. Les productions des expressionnistes ne font pas exception, hormis les œuvres majeures du groupe blaue Reiter qui ont été protégées par Gabriele Münter après qu’elle eut été catégorisée artiste dégénérée.

Photo en noir et blanc de la peinture d’Otto Dix, La tranchée de 1923, dont l’originale a disparu

Beaucoup d’artistes comme Paul Klee, Max Beckmann et Vassily Kandinsky émigreront aux Etats-Unis, où ils continueront à peindre et à faire rayonner les mouvements d’avant-garde.

C. Postérité 

Le mouvement expressionniste peut-être directement relié à plusieurs courants, comme la nouvelle objectivité ou encore le mouvement Bauhaus. Effectivement, l’école Bauhaus a été créée après la dissolution du blaue Reiter et plusieurs figures du courant expressionniste y ont enseigné, notamment Lyonel Feininger, Paul Klee et Vassily Kandinsky. 

Affiche pour l’exposition Bauhaus de 1923, Vassily Kandinsky
Tension douce, 1923, Vassily Kandinsky

Mais outre ces liens directs, la fuite de plusieurs artistes européens vers les Etats-Unis pendant la deuxième guerre mondiale influencera le développement de plusieurs mouvements.

On retrouve, par exemple, l’influence du blaue Reiter dans l’expressionnisme abstrait américain, notamment à travers l’utilisation de formes abstraites et de couleurs vives. L’expressionnisme figuratif, qui met l’accent sur le corps, souvent présenté déformé, n’est pas sans rappeler les toiles du groupe Die Brücke.

Cette influence est présente tout au long du XXème, notamment avec le néo-expressionnisme, qui en réaction à la montée du minimalisme et de l’abstrait, effectue un retour vers des représentations plus figuratives pour mieux véhiculer sentiments et émotions.

Expressionnisme abstrait, Femme et vélo, 1953, Willem de Kooning
Expressionnisme abstrait, Yellow over Purple, Jaune sur Violet, 1956, Mark Rothko
Expressionnisme figuratif, Seated figure, 1961, Francis Bacon
Néo-expressionnisme, The Evening of All Days, the Day of All Evenings, 2014, Anselm Kiefer

Dans beaucoup de mouvements artistiques contemporains, il apparait un héritage idéologique qui résonne avec les expressionnistes, mais plus largement avec les courants de l’avant-garde. Le questionnement de l’esthétique traditionnelle, la recherche d’innovation et de renouveau de l’art, la volonté de liberté d’expression et de création. Toutes ces valeurs ont eu un impact durable sur l’histoire de l’art et plus particulièrement de l’art moderne.

Néo-expressionnisme, The Evening of All Days, the Day of All Evenings, 2014, Anselm Kiefer

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  1. https://journals.openedition.org/gradhiva/2206  ↩︎

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