Image et Message
L’image, vecteur de sens
Depuis le début de l’histoire de l’humanité, l’image est utilisée pour communiquer. Ces exemples se retrouvent jusqu’à il y a 12 000 ans, dans l’art pariétal (peinture réalisée à l’abri de grotte ou de roche) et rupestre (œuvre réalisée en extérieur, flanc de montagne, sol ou autre support dur souvent imposant). L’emplacement de ces œuvres indiquent une volonté de communiquer, qu’elles soient placées en évidence (à un croisement stratégique, sur un flanc de montagne) ou au contraire cachées dans des passages réservés aux initiés, les historiens de cette période s’accordent tous sur la volonté de communication derrières ces peintures. Si certaines semblent facile à comprendre (lieu de chasse, etc.) la plupart restent encore difficile à déchiffrer et sont toujours entourées de mystère.
Cette utilisation de l’image pour communiquer se retrouve dans les premières écritures. Les civilisations sumérienne et égyptienne donneront naissance aux premiers systèmes d’écritures dès 3 300 ans avant JC, respectivement connues aujourd’hui comme le cunéiforme et les hiéroglyphes.
Si le cunéiforme est souvent montré dans sa forme plus moderne où les textes sont une succession de formes de coins (le nom cunéiforme signifie d’ailleurs, qui a la forme d’un coin), le cunéiforme est d’abord un langage pictographique.
Cette spécificité se retrouve aussi chez les Egyptiens. En effet les hiéroglyphes sont souvent définis comme un système d’écriture figuratif ou pictographique. Les symboles qui composent ce système vont représenter un objet ou une action, un son ou parfois donner des indications quant à la manière de lire un texte. Par exemple, le sens de lecture qui peut varier est donné par la direction du regard des êtres humains et des animaux, toujours représentés tournés vers le début du texte.
Si la plupart des écritures pictographiques appartiennent au passé, il en reste une encore d’usage aujourd’hui, le dongba. Aussi appelé tomba, cette écriture est utilisée pour transcrire le langage naxi parlé par le peuple du même nom. Les Naxis appartiennent à l’un des 56 groupes ethniques de Chine, majoritairement installés dans la région sud-ouest du pays et plus précisément dans la ville de Lijiang, où les panneaux sont souvent rédigés en dongba.
Outre l’écriture, l’image a historiquement été utilisée à des fins éducatives. Au Moyen-Age, une grande partie de la population est analphabète et c’est par le biais de l’image que l’on va l’éduquer, notamment en matière de religion. C’est à travers cette volonté de transmettre des concepts théologiques parfois abstraits que l’on peut expliquer le manque de réalisme des œuvres de l’époque. Comme les dimensions des personnages représentés les uns par rapport aux autres, leur taille n’étant pas un reflet des règles de perspectives mais de leur rôle dans le récit. Les œuvres constituant souvent le médium d’un discours et non une fin en soi.
Un exemple plus récent et international d’utilisation de l’image pour faire passer un message clair est celui des pictogrammes. Ces dessins souvent très simples ou stylisés ont pour but d’expliciter une information de façon rapide et claire. On retrouve leurs utilisations dans de nombreux domaines comme le code de la route, ou la signalisation de produits dangereux.
L’exemple le plus actuel est probablement celui de la signalétique des Jeux Olympiques. Dès les premiers jeux de 1896 en Allemagne, quelques pictogrammes sont créés, mais c’est en 1964 lors de ceux organisés au Japon qu’un système complet de pictogramme est réalisé pour l’occasion. En effet, les Jeux Olympiques attirant un grand nombre de visiteurs étrangers, le besoin d’orienter et d’aider le public autrement que par l’écriture se fait ressentir. Les éditions suivantes reprendront les pictogrammes et les adapteront en accord avec l’identité visuelle développée à chaque occurrence des Jeux.
Art et propagande
Si une entité a compris et utilisé le pouvoir de l’image c’est bien celle du pouvoir. On parle ici d’art de propagande et on la retrouve dès les civilisations antiques. L’art fait alors partie des outils pour représenter l’autorité en place, des monnaies frappées du visage du souverain aux portraits royaux. Beaucoup de ces représentations sont toujours connues aujourd’hui et évoquent encore les mythes et histoires englobant ces figures emblématiques.
C’est au cours du XXème siècle que le terme “propagande” revêt une signification plus péjorative, notamment par l’usage qui en sera fait dans le cadre des Guerres mondiales. La propagande est alors vu comme un ensemble de technique de persuasion et d’endoctrinement de la population afin de la faire adhérer à une idéologie.
Pendant la Première Guerre mondiale, de nombreux pays créent des bureaux de propagande (Committee on Public Information aux Etats-Unis, Bureau de le Propagande de Guerre en Grande-Bretagne, etc.) et l’image joue un rôle important dans leurs stratégies de communication, certaines affiches créées à cette période sont encore très connues aujourd’hui.
Ce phénomène s’étend et s’accentue au fil du XXème siècle. De nombreuses campagnes et affiches viennent soutenir les gouvernements pendant les périodes de guerres, mais aussi dans leurs directives gouvernementales.
Si jusqu’à la fin des années 70 la plupart des syndicats et partis politiques possèdent un service de propagande, ces derniers seront finalement renommés “service de communication” ou “communication politique” pour palier à l’image négative du terme, fortement lié aux techniques des régimes totalitaires. Cette connotation est renforcée par la Seconde Guerre Mondiale et par le ministre allemand de la propagande Joseph Goebbels, qui appliquera notamment une politique de déshumanisation des ennemis de son régime.
Aujourd’hui, si les techniques de propagandes ont changé de nom et de forme, elles restent présentes. Encore très marquée dans les pays où l’information restent fortement contrôlée, la propagande se fait plus diffuse dans les démocraties où les libertés de presse et de parole sont valorisées, laissant ainsi une voix à l’opposition.
L’art engagé dans l’histoire
En réponse à cet art de propagande on trouve un art engagé, militant. Le militantisme traduit un engagement à une cause morale. On trouve des traces de militantisme dès l’antiquité, la littérature et le théâtre ont toujours été des lieux privilégiés de ces discours. Cependant le militantisme dans l’art iconographique n’apparaît que plus tard. Les artistes sont soumis aux commandes de mécène et du pouvoir, ainsi la critique faite de ces différentes figures d’autorités est peu présente et discrète. Plusieurs de ces œuvres sont tombées sous la coupe de la censure, comme la représentation d’un épisode de la bible par Pierre Bruegel l’Ancien, Le Massacre des innocents, dans lequel Hérode ordonnera l’assassinat de tous les enfants de moins de 2ans de Bethléem.
L’artiste adapte cette scène biblique d’une grande violence en l’ancrant dans son époque. La scène se déroule dans un village flamand du XVIème siècle et fait écho aux violences causées par la répression des révoltes protestantes. L’œuvre est des plus graphique et présente des corps d’enfants ensanglantés. Elle sera censurée par l’empereur Rodolphe II de Habsbourg au début du XVIIIème siècle, le tableau est alors altéré pour transformer le massacre en scène de pillage.
La Guerre de Trente Ans1 donne lieu à la création de plusieurs œuvres pacifistes, une des plus connues est probablement celle de Pierre Paul Rubens, Les Horreurs de la guerre. Pour établir cette critique, Rubens fait appel à une allégorie. Dans cette toile aux références mythologiques, le spectateur voit Mars, dieu de la guerre, avancer impitoyablement face à la détresse et aux suppliques de Vénus et Europe. Cette représentation détournée du conflit qui déchire l’Europe permet à l’artiste d’exprimer son écœurement face à la guerre et son désir de pacifisme.
A partir du XVIIIème siècle, on dénote une augmentation des œuvres engagées. Le développement de la presse et de l’imprimerie marque l’avènement de la caricature, biais de critique des autorités encore régulièrement utilisé. Cependant la caricature fera l’objet d’un prochain article, nous ne développerons donc pas ce thème aujourd’hui.
En France, c’est notamment avec la Révolution que l’on observe une bascule dans le rôle de l’artiste. De plus en plus d’œuvres d’art sont porteuses de messages et d’idées qui vont parfois à l’encontre de l’autorité, voire carrément révolutionnaires.
En 1795, Jean-Baptiste Regnault présente La Liberté ou la Mort. Dans cette toile l’artiste représente trois personnages qui fixent le spectateur. Au centre l’allégorie de la France, aux ailes teintées de rouge et de bleu, ouvre les bras à une allégorie de la liberté portant haut un bonnet phrygien, symbole de révolution, et à celle de la mort tenant une couronne de laurier, symbole de victoire. Le message de l’artiste est clair, la lutte pour la République mérite tous les sacrifices, même le plus ultime.
En 1814, c’est Francisco de Goya qui mettra en avant la résistance d’un peuple face à un oppresseur dans ses toiles Le deux Mai et Le trois Mai. Dans ce diptyque l’artiste raconte le soulèvement de la population de Madrid face aux français, mais ce combat est inégale et donnera lieu à l’exécution des insurgés le lendemain. Si ces toiles sont commandées par le roi d’Espagne Ferdinand VII, elles permettent aussi à Goya de commémorer un soulèvement d’initiative populaire.
A la même époque, Théodore Géricault présente Le Radeau de la Méduse, qui relate un évènement tragique survenu en 1816. Un navire militaire comptant 150 membres d’équipage fut abandonné après son naufrage par le capitaine nommé par le gouvernement français. L’équipage se réfugia alors sur un radeau mais cette tentative se solda par la mort de la majorité d’entre eux, noyade, maladie et cannibalisme ne laisseront que dix hommes réchapper de cet accident. L’évènement choque beaucoup le public qui blâme le gouvernement, ce dernier tente en réponse d’étouffer l’affaire.
La toile est présentée au Salon de 1819 où elle sera mal accueillie. Très critiquée par les royalistes, le sujet de la toile monumentale choque beaucoup. Cependant, certains y décèlent une critique ouverte de Louis XVIII ainsi qu’une allégorie de la dérive du gouvernement entraînant la France vers un naufrage. D’autre part, l’œuvre présente un autre type d’engagement de la part de l’artiste, le choix de placer un homme noir au sommet de cet amoncellement de corps en détresse est un message clair de l’opposition de Géricault à l’esclavagisme.
Art militant et avant-garde
Le véritablement avènement de l’art engagé prend son essor au XXème siècle en réponse au développement de la propagande. C’est à cette époque qu’on voit la notion d’art militant se créer pour désigner les œuvres prenant position contre les régimes totalitaires et les grandes injustices sociales.
Au début du XXème, ce sont les mouvements de l’avant-garde artistique qui prennent à cœur de dénoncer les guerres mondiales, le mouvement le plus emblématique de cette démarche est probablement le courant Dada (cliquez ici pour lire l’article dédié).
Parmi les acteurs emblématiques de ce mouvement on trouve John Heartfield surnommé “Monteurdada”. Créateur de nombreuses images engagées qui seront publiées dans les revues du mouvement, son militantisme l’obligera à quitter l’Allemagne en 1938.
L’horreur de la guerre est un sujet récurrent, beaucoup d’artistes s’empareront du sujet afin d’en dénoncer l’horreur. Surtout dans ce siècle marqué par des conflits mondiaux et de nombreuses guerres d’indépendances. Otto Dix, après avoir participé à la Première Guerre mondiale dans l’armée allemande, est traumatisé et produira de nombreuses œuvres sur l’horreur de la guerre, en particulier les “gueules cassées”.
Une autre toile aujourd’hui célèbre et souvent présentée comme un manifeste pacifique, n’est autre que Guernica. Créée pour dénoncer les horreurs des affrontements militaires, Picasso s’attaque avec cette toile à la guerre civile espagnole et plus particulièrement aux bombardements de la ville de Guernica. Cet épisode marqua particulièrement les esprits puisqu’il fut démontré que cette attaque n’avait été menée que dans le but de terroriser des civils, une usine de matériaux militaire et des baraquements aux abords de la ville n’ayant pas été visés.
L’esprit contestataire affirmé des artistes du XXème est observable à l’international, au Mexique Tina Modotti est très engagée dans la révolution de son pays natal. Tout comme Frida Kahlo (cliquez ici pour lire l’article dédié), cette artiste utilise des symboles fort du Mexique et de la révolution dans plusieurs de ses œuvres. Dans la photographie présentée ci-dessous, la cartouchière croisée à la serpe et aux maïs renvoie à la lutte de la population rurale et à leurs combats. La serpe fait aussi écho au communisme, idéologie défendue par l’artiste.
Aux Etats-Unis, on retrouve de fortes tendances contestataires dans les milieux de l’art. Le mouvement de contre-culture des années 60 (cliquez ici pour lire l’article dédié) peut être lié à plusieurs de ces revendications.
L’artiste emblématique du mouvement Pop-art, Andy Warhol prendra notamment position contre la peine de mort. Beaucoup de sujets sociaux sont abordés comme le racisme, les inégalités sociales et l’opposition à la guerre du Vietnam2. Des artistes vont jusqu’à détourner des affiches de propagande célèbres pour dénoncer ce conflit et le rôle qu’y joue les Etats-Unis.
Parmi les acteurs de cette contestation artistique on trouve Emory Douglas qui utilisera ses talents pour créer l’identité visuelle du mouvement Black Panther Party et qui est à l’origine de la plupart des couvertures et créations graphiques présentées dans le magazine contestataire The Black Panther.
Art contestataire aujourd’hui
Actuellement, l’un des modes d’expressions qui se portent le plus à l’art contestataire est probablement le Street-Art. En effet, prendre la rue comme galerie permet d’atteindre une cible beaucoup plus large que les seuls musées et galeries. Relayées par les réseaux sociaux, ces œuvres éphémères touchent un grand public.
C’est à la fin du XXème siècle que des artistes de renom s’emparent du street art pour porter leurs causes. En France, on peut parler de Ernest Pignon-Ernest, qui affichera ses sérigraphies dans des lieux qui résonnent avec ses créations. Son couple Les expulsés sera marouflé sur de nombreux murs parisiens voués à la destruction suite aux rachats de promoteurs immobiliers ayant racheté certains des quartiers populaires de la capitale.
Aux Etats-Unis Keith Harring est célèbre pour son utilisation de l’espace public. L’artiste est aujourd’hui connu pour son engagement autour de nombreuses causes sociales comme les inégalités, l’homophobie, les dangers de la religion et la prévention vis à vis de la drogue et du sida.
Aujourd’hui, le street art reste souvent illégale, même si des artistes réputés reçoivent parfois des commandes officielles. Parmi les plus connus on trouve Banksy, dont l’identité est toujours inconnue et Obey, de son vrai nom Shepard Fairey, connu notamment pour son œuvre Hope créée pendant la participation de Barack Obama aux élections présidentielles américaine de 2008.
Ces deux street-artistes à la renommée mondiale sont réputés pour leur engagement dans de nombreuses causes tant sociales que politiques. Leurs œuvres sont toujours rapidement diffusées à l’international grâce à la presse et aux réseaux sociaux.
Les œuvres de street art se retrouve dans le monde entier, même dans les pays où la répression face à cet art contestataire est très forte. On pourra citer en exemple le collectif Artlords installé à Kaboul, capitale de l’Afghanistan, dont l’une des fresques a été choisie comme couverture de ce dossier.
Le collectif a réalisé plus de deux milles créations dont la plupart n’existe plus aujourd’hui que sous forme de photo, afin de promouvoir la paix et la défense des droits humains. Si des membres de ce groupe sont toujours en train de mener des actions dans le pays, plusieurs ont dû s’exiler avec leurs familles pour fuir les Talibans.
En Afghanistan de nombreux artistes sont menacés pour leur travail de dénonciation, c’est aussi le cas de Aman Mojadidi qui s’attaque à la politique de son pays d’origine à travers des œuvres détonantes.
L’art militant s’étend partout dans le monde pour lutter contre les inégalités et de nombreux problèmes sociétaux sont ainsi adressés. Les réseaux sociaux assurent la diffusion large et rapide de ces œuvres tout en conservant l’anonymat de l’artiste si nécessaire.
Ainsi de nombreux sujets sont abordés et répondent souvent à l’actualité avec une vitesse surprenante. Les artistes s’emparent de tous les sujets, des drames survenus pendant la préparation des Jeux Olympiques de Rio, à la guerre en Ukraine en passant par la fin du droit à l’avortement dans plusieurs états des Etats-Unis et les pandémies mondiales ; l’art est un moyen d’expression contestataire extrêmement présent dont la diffusion internationale est assurée par internet.
Certaines causes sont aujourd’hui devenues extrêmement cruciales et la contestation qui les entourent possèdent une ampleur telle qu’en plus des artistes, des campagnes de sensibilisation sont mise en place par différentes organisations et associations. C’est notamment le cas de l’écologie.
Malheureusement, le sujet choisi pour ce dossier est suffisamment vaste pour lui consacrer des ouvrages entiers, et nous n’avons pas pu traiter toute l’ampleur de ce dernier. Il existe de nombreux arts et artistes engagés que nous n’avons pu citer et ces manifestations sont loin de se cantonner au domaine de l’image ! Musique, cinéma, littérature, danse… Tous ces domaines et bien d’autres peuvent être porteurs de révoltes et de dénonciations.
N’hésitez pas à nous faire part de vos œuvres et artistes engagés préférés dans les commentaires, peut-être pourra-t-on consacrer un autre article sur ce thème ! Dans tous les cas, toute l’équipe okprod sera ravie d’échanger avec vous !
En attendant, si vous avez envie de vous essayer à la création d’affiches percutantes, nous vous conseillons ce tuto !
On attend vos commentaires et créations avec impatience sur nos réseaux sociaux avec le #OKPROD et sur notre serveur discord !
A très vite sur Okprod !
Image de couverture, Je vous vois, collectif ArtLords, Kabuz Mokamel, Omaid Sharifi