Less is more, le modo minimaliste
Quand on entend minimalisme aujourd’hui, beaucoup d’images nous viennent à l’esprit. D’une philosophie zen, aux toiles monochromes des musées d’art moderne en passant par les meubles Ikea et la méthodologie de rangement de Marie Kondo. Le mot “minimalisme” est devenu un mot valise qui renvoie à de nombreux domaines, art, design, philosophie et même marketing.
I. Minimal Art et design
A. Minimal Art
Quand on parle de minimalisme, cela fait bien souvent référence au minimal art ou minimal art américain. Courant artistique qui débute dans les années 1960 aux Etats-Unis, le minimal art rejette l’expressionnisme abstrait et le pop art au profit d’un art de la simplicité dénué d’affect. Que ce soit en peinture, sculpture ou musique, la formule de l’architecte Ludwig Miles van der Rohe “Less is more”1 devient précepte. Sobriété, répétition et forme simple sont les mots d’ordre de ce courant.
Les artistes minimalistes vont rompre avec la plupart des conventions artistiques, leurs œuvres aspirent à la neutralité, et à la rigueur. Une production de minimal art est créée avec des matériaux bruts, ordinaires, et est facilement reproductible par tous.
Le minimal art est influencé par les mouvements d’avant-garde. Si Piet Mondrian, Kasimir Malevitch et Ad Reinhardt comptent parmi les influences indiscutables du courant artistique, la palme revient indiscutablement au Bauhaus.
Le Bauhaus est un courant artistique qui tire ses origines d’une école d’architecture et d’arts appliqués allemande du même nom. Créé en 1919, le Bauhaus repose sur une volonté de toucher un grand nombre de disciplines, sculpture, peinture, mais aussi métallurgie, menuiserie et de nombreux autres savoir-faire relevant de l’artisanat. Les œuvres Bauhaus partagent une même esthétique d’une grande sobriété, simple et fonctionnelle. Les ornements et fioritures s’effacent pour laisser place aux lignes épurées, les matériaux sont bruts et renvoient à l’industrie. Si le Bauhaus a particulièrement impacté l’architecture et le design, on retrouve son influence aujourd’hui dans de nombreux domaines, dont le minimalisme, qui a fait de l’adage du troisième directeur de l’école Bauhaus “Less is more” son précepte phare.
B. Influence du Bauhaus
Le Bauhaus a un impact considérable sur le design industriel et l’architecture. Développé en plein essor de l’industrie, le Bauhaus créé en série des objets fonctionnels, simples et épurés. Certaines créations emblématiques ne vont pas sans rappeler des objets qui peuplent encore notre quotidien.
En architecture, les constructions qui relèvent du Bauhaus témoignent du même attrait pour les matériaux industriels, les lignes simples et la volonté de mettre le besoin d’un bâtiment au centre de sa création, comme avec la Nouvelle Galerie Nationale de Berlin achevé en 1968.
Que ce soit via le graphisme, le design ou l’architecture, les productions relevant du Bauhaus exercent une influence indéniable sur leur époque. Pour améliorer une œuvre il faut la simplifier, la complexité apporte la confusion. Un bon design se doit d’avoir un concept fort, clair, et accessible afin de toucher le plus grand nombre, ce qui le rend intemporel.
Si cette tendance au dépouillement se ressent particulièrement dans les milieux artistiques, l’importance de structure claire et épurée se démarque aussi dans l’univers du graphisme. En effet, en 1964, au Centre National du Design de Chicago se tient la première exposition dédiée au graphisme appelée Trademarks/USA. L’exposition présente une rétrospective de 193 logos et chartes graphiques américains entre 1945 et 1963.
Des graphistes aujourd’hui légendaires y sont mis à l’honneur comme Paul Rand, auteur de nombreux livres théoriques sur le graphisme, dont Thoughts on Design en 1947, qui deviendra très vite un titre de référence. Logo géométrique, charte graphique, édition et publicité, cette évolution s’étend à tous les domaines du graphisme.
Le “Less is more” résonne dans les créations graphiques, l’espace et le vide sont investis de sens, les fioritures sont abandonnées et la lisibilité devient centrale, le design minimaliste permet de renforcer l’efficacité du message véhiculé.
“Design is simple. That’s why it is so complicated” Paul Rand
“Le design est simple, c’est pourquoi il est si compliqué”
C. Minimalisme et numérique
Le design minimaliste est toujours très présent aujourd’hui. De nombreuses marques y ont recours, et cette tendance ne se traduit pas seulement dans les logos ; la communication et la présence numérique sont aussi porteuses de cette esthétique.
Le minimalisme permet de véhiculer une marque, un produit ou un message de la manière la plus efficace possible. Graphisme épuré, forme simple, sobriété et fonctionnalité sont au cœur de la stratégie de marque de nombreuses entreprises.
Un des meilleurs exemples de design minimaliste appliqué à une entreprise est probablement celui de Apple.
Apple simplifiera son logo pour l’iconique pomme en 1978, un an après les débuts de l’entreprise. Cette approche minimaliste se retrouve dans la plupart de leurs produits mais aussi à travers leur communication. Beaucoup de pub Apple sont aujourd’hui iconiques, et le site de la marque comme ses différents systèmes d’exploitation répondent tous à une esthétique minimaliste que l’on retrouve chez la plupart des géants du marché.
Cette utilisation de design à inspiration minimaliste, notamment dans les systèmes d’exploitation d‘ordinateur et de smartphone aura une véritable influence sur les tendances du design numérique. Les interfaces proposées au fil du temps par Apple sont souvent présentées comme à l’origine de certaines tendances graphique comme le flat design2.
II. Minimalisme, des racines multiples
A. Minimalisme et occident
Une des origines attribuées au minimalisme relie l’esthétique épurée au cabaret du Chat noir, dont l’affiche de tournée est aujourd’hui célèbre à l’internationale.
Dans le quartier parisien de Montmartre à la fin du XIXe siècle, de nombreux artistes, peintres, poètes et compositeurs, se retrouvent au Chat noir pour échanger des idées et se présenter leurs créations. Fatigués des excès des courants symbolistes et romantiques, beaucoup se tournent vers de nouvelles formes d’art.
Erik Satie, compositeur, et pianiste du cabaret, s’intéresse particulièrement au dépouillement musical et à la répétition. Il compose notamment Vexations, une partition pour clavier proposant la répétition d’une courte mélodie simple et austère pas moins de 840 fois. Cette pièce sera jouée 70 ans plus tard en 1963, à New York. Cela demandera que 10 pianistes se relaient pendant plus de 18 heures. Parmi eux, on trouve John Cage et John Cale, grandes figures de la musique minimaliste.
Dans les artistes qui fréquentent le cabaret, on trouve plusieurs membres du mouvement des arts incohérents dont la pratique se concentre sur la parodie artistique. Beaucoup de leurs œuvres seront publiées dans la revue Le Chat noir qui sera distribuée de 1882 à 1897.
Parmi les œuvres publiées, on trouve beaucoup de productions à portée humoristique. Comme la partition aux portées vides appelée Marche Funèbre pour les funérailles d’un grand homme sourd d’Alphonse Allais, ou du même artiste, un des premiers monochromes de l’histoire de l’art intitulé Première communion de jeunes filles chlorotiques3 par un temps de neige.
Si ces artistes et leurs productions semblent bien éloigner du minimalisme et de son esthétique, leurs recherches témoignent d’une volonté de rupture avec les conventions artistiques et ses excès, ainsi que d’un rejet des représentations classiques pour une esthétique du dépouillement.
B. Minimalisme et orient
Une autre origine souvent donnée au minimalisme se situe en orient et plus particulièrement au Japon. En effet, recherche de simplicité, méditation et contemplation sont au cœur de la réflexion de plusieurs figures emblématiques des arts et de la philosophie japonaise.
La recherche de simplicité, notamment en littérature remonte au Xème siècle, où l’on trouve les premiers tankas dans l’œuvre de la poétesse Izumi Shikibu, poème traditionnel succinct qui évoluera en différents genres dont celui du haïku.
Au XIXème les travaux du moine zen bouddhiste Sengai Gibon, témoignent d’une recherche d’esthétique minimaliste. Ses œuvres sont simplifiées à l’extrême, quelques traits servent à faire apparaître une image. Sa production la plus connue, bien que sans titre est souvent appelée univers, représente un carré, un triangle et un rond se chevauchant légèrement.
En 1834, dans la préface de Cent vues du mont Fuji, Hokusai écrit : “C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons, des plantes. Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond des choses ; à cent, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de cent-dix, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant.” Cette citation capture l’essence de la philosophie minimaliste dans sa recherche de la simplicité, mais aussi sa difficulté.
Ce n’est que par le travail, la réflexion et l’observation que l’on peut arriver à la perfection. Perfection ici symbolisée par un dépouillement du superflu, où l’utilisation des formes les plus simples possibles, point et ligne, permettent d’exprimer le message porté par une œuvre.
C. Minimalisme et communication
L’essence du minimalisme peut aussi s’ancrer beaucoup plus tôt dans l’histoire. En effet, l’un des objectifs du minimalisme est celui de véhiculer un concept, un message, ou de manière plus générale un objet, le plus simplement et efficacement possible.
Ce besoin de communiquer des informations efficacement se retrouve dès les débuts de l’histoire humaine et on en trouve des traces jusque dans l’art pariétal.
On sait aujourd’hui que les peintures rupestres avaient plusieurs utilités, de l’éducation à la spiritualité, l’emplacements des peintures et leurs caractéristiques visuelles permettent aux chercheurs de déterminer leurs rôles. Et si certaines sont cachées et difficiles d’accès, d’autres représentations sont placées à l’extérieur, là où elles pourront être vue de loin, ce qui traduit une volonté de transmettre une information. Ces peintures renvoient au minimalisme à travers la réponse faite au besoin de communication. Le message se doit d’être clair, efficace et empreint d’une certaine universalité afin de pouvoir être compris par tous.
III. Une esthétique transdisciplinaire et intemporelle
A. Le minimalisme aujourd’hui
Le minimal art est un des grands lieux de rayonnement du minimalisme. Certaines œuvres emblématiques du mouvement semblent intemporelles. On pense notamment au travail de Sol Lewitt, aux structures lumineuses de Dan Flavin ou aux monochromes de Robert Ryman. Beaucoup de ces œuvres sont encore très présentes dans notre paysage culturel, et des expositions autour du mouvement minimal art ou de ses artistes sont régulièrement organisées.
D’autres domaines sont profondément impactés par cette esthétique. Plusieurs bâtiments, dont l’architecture relève du minimalisme, sont inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Et la musique minimaliste, notamment l’œuvre de John Cage, exercera une réelle influence sur plusieurs courants qui lui succéderont, en particulier le jazz.
B. Le minimalisme dans les médias
Le minimalisme s’est bien fondu dans l’époque moderne, et on retrouve son influence dans de nombreux médias.
Si le minimalisme est une esthétique que l’on retrouve au cinéma, elle ne se cantonne pas au 7ème art et investit aussi les petits écrans. Un exemple parlant est celui de la série d’animation La Linea d’Osvaldo Cavandoli. Cette série d’animation met en scène un personnage râleur, dont les aventures nous sont contées grâce à l’utilisation de son inintelligible, de changement de la couleur du fond et de l’animation d’une ligne, représentant à la fois le personnage et son environnement. Si vous n’avez jamais eu l’occasion de voir un épisode, vous êtes peut-être sceptique, et pourtant ça fonctionne !
Cette volonté de pouvoir être compris même par des spectateurs étrangers se retrouve notamment dans la bande dessinée. Le meilleur exemple pour ce besoin précis est probablement celui des bandes dessinées muettes, mais le minimalisme en BD peut revêtir bien des formes comme la simplification des dessins, parfois jusqu’à l’extrême.
Ces dernières années, l’influence minimaliste se fait surtout sentir dans la bande dessinée indépendante. Le trait se fait plus évasif, les dessins se simplifient, la couleur n’est que peu présente et souvent travaillée une teinte à la fois ou abandonnée pour le noir et blanc.
C. Minimalisme et communication
De tous les domaines, c’est probablement dans celui de la communication que l’impact du minimalisme est le plus ancré, surtout dans la publicité. Capter et conserver l’attention du consommateur est un enjeu majeur pour la plupart des entreprises. L’utilisation d’un graphisme minimaliste semble tout indiqué pour répondre à cette problématique. Le choix de cette esthétique permet d’apporter un espace de respiration à un consommateur sursollicité, et le message porté par cette esthétique est instantanément compris. L’usage d’identité graphique à l’esthétique minimaliste a été popularisé par les GAFAM4, ce qui participe à rendre ce style graphique incontournable.
Le numérique est l’un des médias qui utilise le plus l’esthétique minimaliste, tant dans la forme que dans le fond. Les interfaces de nos appareils se veulent intuitives et le minimalisme joue un rôle décisif dans leurs créations. L’expérience utilisateur, ou UX, est une véritable problématique dans la création d’interface. Que ce soit pour la création d’un site, d’une application, ou d’un menu de console de jeux, l’agencement des espaces, des textes, images et interactions sont réfléchis et questionnés afin de les rendre le plus efficaces et naturels possible.
Le design minimaliste est très présent sur internet et toujours extrêmement populaire. De nombreux sites répondant à cette esthétique sont régulièrement mis en avant pour leurs designs par des sites spécialisées comme Awwwards5.
Cependant il est important de ne pas tomber dans l’excès de l’hyper simplification. Le minimalisme nécessite une élimination du superflu, mais trop épurée un design risque de lui faire perdre son sens.
En 2022, la Sncf lance “SNCF Connect”, annoncé comme une révolution technologique, application et site internet subissent un flop retentissant dès leur mise en ligne. Les éléments mis en avant comme de grandes innovations ont été mal réceptionnés par le public. Que ce soit le mode sombre imposé à l’utilisateur, ou l’ergonomie de la barre de recherche unique, les nouveautés ont laissés les usagers perplexes.
Dans cet exemple, la volonté d’innovation a pris le pas sur l’efficacité et la simplicité ; le design ne répond donc pas aux besoins et ne fonctionne pas comme il le devrait.
C’est probablement là que se situe une des grandes difficultés de l’esthétique minimaliste, épurer à l’extrême sans perdre le sens porté. Sous son apparente simplicité cette démarche est difficile, le minimalisme nécessite un véritable questionnement. Il n’est pas si facile de dépouiller un concept du superflu pour ne garder que l’essentiel, que ce soit en art, en design ou en philosophie.
“ N’importe quel imbécile intelligent peut rendre les choses plus grandes, plus complexes et plus violentes. Il faut une touche de génie – et beaucoup de courage – pour aller dans la direction opposée.” Ernst Friedrich Schumacher, économiste du XXème
Si vous aussi vous voulez vous essayer à la création de design et d’interface minimaliste, on vous conseil ces tutos qui vous accompagneront dans la réalisation de maquette épurée et tendance !
N’oubliez pas de poster vos créations en commentaire ou sur notre discord, on a hâte les voir !
A très vite sur Okprod
Image de couverture extraits de l’album 10 sérigraphies de 1952 à 1961 de François Morellet
- “Less is more”, pourrait être traduit par “le moins c’est le plus”. Cette formule a été popularisée par Ludwig Miles van der Rohe en 1930. Cette dernière trouve son origine dans un poème de 1855 de Robert Browning, Andrea del Sarto, The Faultless Painter. “Less is more” est devenu l’un des adages emblématiques du minimalisme. ↩︎
- Le flat design est un style de design d’interface et d’illustration en 2 dimensions basé sur l’utilisation de formes simples avec des aplats de couleurs. ↩︎
- Chlorotique est un terme habituellement réservé aux plantes, indiquant une décoloration des feuilles liée à un manque de chlorophylle. ↩︎
- L’acronyme GAFAM renvoie aux cinq plus grosses entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication, c’est à dire Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. ↩︎
- Le site Awwwards met en avant des sites web au design créatifs par le biais de concours adressés aux professionnels de la conception et du développement web.
https://www.awwwards.com/#nominees ↩︎
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