Hokusai et la grande vague
Hokusai, si ce nom ne vous évoque rien, l’image en couverture de cet article vous dit probablement quelque chose. En effet cette estampe de 1831 est probablement la production la plus connue de l’artiste japonais du XIXe siècle.
La Grande Vague de Kanagawa
Cette estampe dont le nom complet a été tronqué avec le temps est aujourd’hui connu sous le nom de La Grande Vague ou La Vague. C’est la première estampe du recueil Trente-six vues du mont Fuji publié entre 1831 et 1833. Dans ce recueil, l’artiste donne à voir quarante-six (et oui, 10 de plus qu’annoncé par le titre) paysages, tous présentant la vue du mont Fuji au fil des saisons et des provinces japonaises.
De ces 46 illustrations, La Grande Vague de Kanagawa est probablement la plus connue de toutes. Dans cette estampe, la première chose qui frappe l’observateur est cette fameuse vague monumentale qui semble prête à engloutir trois bateaux de pêcheurs dont l’on partage la ligne de vue. Ces derniers semblent bien fragiles face à l’immensité de la vague. A l’arrière-plan apparaît le mont Fuji, immuable face au combat perdu d’avance des hommes face à la nature.
Cette représentation connait un succès instantané, tant au Japon qu’en Europe. L’estampe devient vite incontournable et est présentée comme une source d’inspiration pour de nombreux artistes. La Nuit étoilée de Vincent Van Gogh est souvent rapprochée de la fameuse Grande Vague dans le traitement du non moins célèbre ciel. Claude Debussy utilisera cette vague gigantesque pour la couverture de sa partition La Mer en 1905.
L’influence et la présence de cette vague résonne jusqu’à notre époque dans laquelle on y trouve de nombreuses références. La Grande Vague de Kanagawa se retrouve partout dans notre paysage moderne et de nombreux objets de consommation qui l’arborent n’en représentent qu’une partie. L’estampe est souvent dépossédée de ses bateaux de pêcheurs et parfois même du mont Fuji. L’illustration est devenue si culte que Lego propose même de la reproduire en usant de leurs iconiques petites briques de plastique1.
Mais la présence de cette vague ne se retrouve pas que dans des produits de consommation, cette dernière est très présente dans le paysage culturel et dans la pop culture. On la retrouve dans des œuvres artistiques de toute époque et de tout genre. Du pop-art au street-art, La Grande Vague est partout.
Des références lui sont régulièrement faite dans de nombreuses œuvres illustrées et elle est souvent détournée, que ce soit pour faire passer un message ou simplement par humour.
Hokusai, le vieux fou de dessin
On pourrait aisément consacrer tout un article à La Grande Vague de Kanagawa, il semble impossible de ne pas s’intéresser plus à son auteur. Né en 1760 près de la capitale Edo (ancien nom de Tokyo), il fera son apprentissage chez un artisan xylographe2 où il apprendra la gravure sur bois entre 1773 et 1778.
Il pratique l’art du dessin à travers différents médias jusqu’à sa dernière année en 1849. Durant cette carrière longue de plus de 70 ans, Hokusai réalisera plus de mille illustrations, peintures et estampes sous plus de 120 noms d’artistes différents, marquant des évolutions dans le style et la vie de ce dernier. Les plus connus étant sans aucun doute Hokusai et Gakyōjin, qui signifie “vieux fou de dessin” qu’il utilisera à partir de 1800.
La carrière d’Hokusai concorde avec le courant artistique japonais de l’ukiyo-e où l’avènement de la technique de gravure sur bois permet la production et la diffusion d’estampes à grande échelle. Ukiyo-e est souvent traduit en “image du monde flottant” ou “image du monde éphémère”, et donne à voir des scènes et des éléments de la vie courante et bourgeoise de l’époque Edo. Représentation de nature, d’artiste de théâtre kabuki, de sumo, de geisha et de courtisane.
Parmi les thèmes typiques de l’ukiyo-e on retrouve des illustrations à portées érotiques nommées shunga. La plus célèbre d’Hokusai est probablement Le rêve de la femme du pêcheur dont on peut se demander si elle n’est pas à l’origine d’une frange de la littérature érotique nippone.
Un autre thème récurrent de ce courant sont les représentations de yōkai. Le terme yōkai fait référence à des esprits, fantômes, démons ou apparitions surnaturelles dans la culture japonaise. Ils tiennent une place importante dans le folklore de l’archipel.
La plupart de ces récits et croyances ont traversé les époques et sont toujours présents aujourd’hui, on les retrouve dans de nombreux mangas et films d’horreurs.
L’œuvre d’Hokusai est si prolifique qu’il finira sous conseil d’un confrère par publier la plupart de ses illustrations en recueil qu’il nommera La Manga. Cette série dont la publication débute en 1814 compte 15 tomes et est présentée comme un manuel didactique offrant des modèles iconographiques.
Un artiste atypique
S’éloignant de l’ukiyo-e, le thème de prédilection d’Hokusai est celui des paysages. Sous ses traits, les paysages deviennent élément principal de ses œuvres. Les meilleurs exemples sont probablement ses recueils d’estampes autour du mont Fuji, Trente-six vues du mont Fuji édité à partir de 1831 et Cent vues du mont Fuji publié des 1834. C’est dans ce dernier qu’il écrit la célèbre préface :
“Depuis l’âge de six ans, j’avais la manie de dessiner les formes des objets. Vers l’âge de cinquante, j’ai publié une infinité de dessins ; mais je suis mécontent de tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans. C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons, des plantes, etc. Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond des choses ; à cent, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de cent dix, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiens parole. Écrit, à l’âge de soixante-quinze ans, par moi, autrefois Hokusai, aujourd’hui Gakyō Rojin, le vieillard fou de dessin”
Si l’espoir de l’artiste de continuer à dessiner jusqu’à son centième anniversaire ne se réalisera pas, on sait que ce dernier passera les dernières années de sa vie à parfaire sa technique, la légende raconte qu’il avait pour rituel de dessiner chaque matin. De cette époque on a gardé plusieurs représentations de shíshī, les lions gardiens chinois, symbole de chance et de longévité.
Si Hokusai a traversé les âges, c’est probablement dû à son aspect novateur. En effet, l’artiste fait partie des premiers de l’archipel à s’inspirer de l’art occidental3, notamment dans l’introduction de la perspective afin de donner de la profondeur à ses paysages où via l’usage du “bleu de Prusse4”, pigment alors récent au Japon, qu’il utilisera régulièrement. Ces deux éléments se retrouvent notamment dans son recueil Trente-six vues du mont Fuji et donc dans la réalisation de la fameuse Grande vague de Kanagawa.
Parmi ses expérimentations artistiques, deux sont entrées dans la légende. Il est raconté que lors d’un voyage du shogun5, ce dernier exprima le désir d’assister à la réalisation d’œuvres par Hokusai et un de ses contemporains, Tani Bunchō. Hokusai présenta une toile représentant la rivière Tatsuta sur laquelle il fit courir des coqs aux pattes trempées dans une couleur rouge afin de reproduire des feuilles d’érable japonais emportées par le courant.
En 1804, l’artiste peint à l’occasion d’un festival au temple Edo une toile de Daruma monumentale de plus de 180m de long, pour laquelle il dû troquer son pinceau pour un balai. Il réitèrera l’exploit en 1817 mais l’œuvre fut détruite pendant les bombardements de la seconde guerre mondiale.
Une influence au-delà de La Grande vague
Une autre raison qui peut être avancée à la pérennité d’Hokusai dans le paysage culturel mondial tient au rôle joué par l’artiste dans la naissance du japonisme.
Le terme japonisme renvoie à l’influence de l’art japonais sur les artistes européens à la fin du XIXe siècle dont les impressionnistes et les artistes appartenant au mouvement de l’Art Nouveau. Parmi les artistes présentés comme ceux ayant eu le plus d’influence sur le courant on trouve Hiroshige, Utamaro et Hokusai. Un des tomes de La Manga fut d’ailleurs acquis par la Bibliothèque nationale de France en 1843, avant l’ouverture du Japon au commerce international qui ne débutera que quelques années plus tard.
Ainsi l’influence de l’artiste japonais s’étend bien au-delà de La Grande Vague de Kanagawa et on retrouve l’influence de l’ukiyo-e mais aussi la patte d’Hokusai dans de nombreuses créations, un exemple récent est celui de la direction artistique du jeu de carte Magic The Gathering pour la sortie de l’extension Kamigawa.
Aujourd’hui on trouve de nombreuses œuvres relatant la vie de l’artiste, de la biographie en passant par des albums jeunesse, des romans, des mangas et de nombreux films. Des expositions autour de son travail sont souvent organisées et un musée lui est dédié au Japon.
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Illustrations de couverture, partie de La Grande Vague de Kanagawa, Hokusai, 1831
- La Grande Vague d’Hokusai par Lego ↩︎
- La xylographie est une technique de gravure sur bois permettant la réalisation d’estampes en plusieurs exemplaires. ↩︎
- Parmi les artistes japonais s’étant inspirés de l’art occidental on trouve Keisan Eisen et Shiba Kōkan, ces derniers comptent parmi les différentes influences d’Hokusai. ↩︎
- Le bleu de Prusse correspond à la couleur Iron blue pigment dans la norme de désignation internationale de normalisation ISO ↩︎
- Le terme Shogun renvoie à la figure dirigeante du japon du VIIIe siècle au XIXe, ce dernier détient le pouvoir militaire tandis que l’empereur se fait gardien des traditions. ↩︎
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